PRIX Ernest MONTUSES 2013
Parole de Martine REID, titulaire du Prix Ernest Montusès 2013 pour sa biographie de George Sand.
Madame la présidente de l’association des Amis d’Ernest Montusès, Mesdames, Messieurs,
C’est pour moi un grand honneur d’avoir été choisie pour recevoir le prix Ernest Montusès 2013 ; c’est aussi un plaisir véritable de me trouver avec vous, ce soir, non seulement pour évoquer George Sand, mais aussi Ernest Montusès dont j’ai pu mieux connaître les activités, cette après-midi même, grâce à la belle exposition qui lui est consacrée.
A première vue, tout sépare la châtelaine de Nohant de l’enfant d’un modeste fontainier. Leur histoire, leur destin, leur célébrité sont bien différents et George Sand est morte depuis quatre ans déjà quand Ernest Montusès vient au monde à Montluçon en 1880.
Pourtant, au-delà de différences manifestes, trois éléments unissent celle que Victor Hugo appelait « la grande femme de la littérature française » et celui qui fut un « enfant du pays », le vôtre, au destin bref mais exceptionnel – et ces éléments, vous allez le voir, ne sont ni forcés, ni fortuits.
Sand comme Montusès partagent d’abord un grand intérêt pour la presse, cet outil médiatique que le XIXe siècle n’invente pas mais auquel il donne une force et un pouvoir exceptionnels. Sand le comprend fort tôt : en compagnie de Jules Sandeau, elle fait à Paris ses premières gammes littéraires dans un petit journal satirique appelé Figaro, et pour ce faire, s’invente un « nom de plume », comme le fera plus tard Ernest né Semonsut ; quelque quinze ans plus tard, elle crée une revue de culture et de politique dont le titre contient l’objectif, La Revue indépendante ; puis elle finance un journal d’opposition au pouvoir de Louis-Philippe, c’est L’Eclaireur de l’Indre, journal des départements de l’Indre, du Cher et de la Creuse qui commence à paraître en 1844. « J’aime le journalisme, écrit Sand, celui de la province surtout. J’y sens plus de loyauté, plus d’indépendance, plus d’avenir ». En 1848 enfin, à la demande de ses amis, Sand anime le Bulletin de la République, organe officiel du gouvernement provisoire après la révolution de Février. Dans tous les cas, elle a mesuré, comme plus tard Ernest Montusès, le pouvoir de la presse, son rôle déterminant dans la diffusion des idées et dans les changements – nécessaires - de « mentalité ».
Sand et Montusès partagent ensuite des convictions politiques qui ne relèvent pas seulement de la générosité ou de la grandeur d’âme. Sand se déclare saint-simonienne (on sait que ce mouvement appartient aux débuts du socialisme en France), puis socialiste et même communiste, non sans nuancer toutefois la nature de cette étiquette. « Je suis communiste, écrit-elle en 1851, comme on était chrétien en l’an 50 de notre ère ; c’est pour moi l’idéal des sociétés en progrès, la religion qui vivra dans quelques siècles ». Pendant toute sa vie, Sand demeure profondément attachée au sort de ce qu’on appelle alors « le peuple », paysans et ouvriers (mais c’est surtout les premiers qu’elle connaît, et qu’elle défend), et se déclare résolument en faveur d’une forme de gouvernement démocratique, et hostile la monarchie : « Ne suis-pas républicaine depuis que j’existe, écrit-elle à la chute de Napoléon III ? La république n’est-elle pas un idéal qu’il faut réaliser un jour ou l’autre dans le monde entier ? ».
Ses romans portent la marque de cet engagement, socialiste et républicain, que ne partage guère le milieu littéraire du temps, à l’exception de Hugo, qui toutefois ne se rallie que lentement à la cause socialiste, et d’Alphonse de Lamartine, dont elle sera proche en 1848. Balzac, avec lequel elle entretient un dialogue fécond dans les années 1830 et 40, ne la suit guère sur ce point ; quant à Flaubert, qui sera son correspondant attentif à partir des années 1860, il se moque volontiers de positions envers lesquelles il éprouve fort peu de sympathie : « George Sand est un être merveilleux, écrit-il, pour autant qu’elle n’enfourche pas son dada socialiste ». Politiques, les romans le sont, et ils n’en font pas mystère. Les personnages ne dissimulent pas leur souhait de justice sociale et leur souci de voir défendus les droits de tous ceux qui travaillent de leurs mains (c’est particulièrement manifeste dans des romans peu connus aujourd’hui comme Le Compagnon du tour de France ou Le Péché de Monsieur Antoine). Dans les histoires qu’elle raconte, Sand met le plus souvent en scène des gens modestes raisonnant sur le monde comme il va et souhaitant qu’il soit plus juste et plus généreux, mais aussi des hommes et des femmes profondément soucieux d’égalité, égalité sociale et égalité des sexes : « nous voyons la cause de la femme et celle du peuple offrir une similitude frappante qui semble les rendre solidaires l’un de l’autre », écrit Sand, dans ce sens, dans L’Eclaireur de l’Indre. La plupart des romans placent l’un en face de l’autre un jeune homme et une jeune fille qui finiront par se marier sans doute mais qui vont surtout travailler à devenir les égaux, égaux en biens par le travail (GS est certainement la seule à l’époque à imaginer par exemple que le travail ménager puisse être rémunéré) et égaux par l’instruction (la chose n’est pas mince à concevoir quand on sait ce qu’est alors l’éducation des petites filles à la campagne, quand elle existe : c’est notamment le sujet de La Mare au Diable, La Petite Fadette, François le Champi, Les Maîtres Sonneurs et bien d’autres romans encore). A l’époque, il faut le rappeler, hommes et femmes ne sont pas alors égaux devant la loi – et Sand ne cessera de militer, notamment dans la presse, pour l’éducation des filles, mais aussi pour l’obtention pour les femmes des droits civils (dont le droit au divorce), droits qu’elle juge la condition de l’obtention des droits politiques (dont le droit de vote).
Sand et Montusès partagent enfin une extrême attention portée au monde rural, à son économie, à son fonctionnement au quotidien, à ses acteurs, riches et pauvres, à tout ce qui constitue le terroir, la région, la « province » comme on dit volontiers alors. La connaissance du Berry et des « pays » qui l’entourent, Sand le doit à d’innombrables voyages et promenades, voyages en voiture, quand elle vient de Paris ou qu’elle y retourne, promenades à cheval, alors que jeune fille surtout elle trouve dans cette activité une distraction puissante, promenades à pieds enfin, en nombre considérable, promenades faites autour de Nohant, mais aussi dans la Creuse, grâce à la petite maison que Manceau et elle ont acquise à Gargilesse, à Boussac où elle réside quelques semaines chez des amis, et dans bien d’autres lieux encore. Elle est ainsi l’une des rares « marcheuses », « randonneuses » de la littérature de son temps.
Elle est aussi l’un des très rares écrivains à rendre au plus près, au plus juste, ce qui fait les habitudes de l’homme des champs, ses mœurs, sa musique, les objets qu’il fabrique, ce qui constitue le cours de ses jours. Peu d’écrivains alors pour s’intéresser sérieusement à la vie en province, à la vie au village, aux fêtes, aux rites, aux légendes, aux habitudes et aux parlers locaux. Indre, Creuse, Bourbonnais, Sand pèse également les nuances qui font de chaque terroir un microcosme, un monde à part, ressemblant certes à ses voisins mais que différencient mille nuances subtiles. Exemplaires à cet égard est le dernier de ses romans champêtres, Les Maîtres Sonneurs. Dans ce dernier, Sand explique ce qui fait la différence entre le paysan tranquille de la plaine à peine semée de collines des entours de Nohant et le muletier opiniâtre, qui hante les bois du Bourbonnais en compagnie de « bûcheux ». Au premier le calme et la réflexion, au second la vivacité et l’impulsion. Au chef de la bande des « bûcheux », elle a d’ailleurs donné le nom d’un village de l’Allier, Huriel – Huriel c’est celui qui finira, après bien des péripéties, par épouser la belle Brûlette. Mariage de deux pays qui sont deux caractères, deux manières de voir le monde et de le vivre.
A la suite de Sand un certains d’auteurs, hommes et femmes, porteront sur la région qu’ils habitent un regard neuf et se montreront soucieux de rendre leur pays d’une manière originale. Les quelques romans dont Ernest Montusès est l’auteur, et dont on peut se faire une idée – approximative – en ligne, s’apparentent à cette veine initiée par Sand, à ce souci du peuple qu’habitent et que nourrissent des convictions : convictions que le monde peut changer, qu’il peut être plus juste, plus fraternel, plus soucieux d’égalité.
Ce souci n’a rien perdu de sa pertinence et de son urgence. Mais Sand reste avant tout « un artiste », comme elle aime à le dire et dans cette perspective elle répète que « l’art n’est pas une étude de la réalité positive ; c’est une recherche de la vérité idéale ».
Cette vérité idéale, Sand n’a pas cessé de la poursuivre, de la mettre en scène, de la rêver – et il faut souhaiter que bien d’autres continuent d’en rêver avec elle.
Martine Reid
22 novembre 2013
Madame la présidente de l’association des Amis d’Ernest Montusès, Mesdames, Messieurs,
C’est pour moi un grand honneur d’avoir été choisie pour recevoir le prix Ernest Montusès 2013 ; c’est aussi un plaisir véritable de me trouver avec vous, ce soir, non seulement pour évoquer George Sand, mais aussi Ernest Montusès dont j’ai pu mieux connaître les activités, cette après-midi même, grâce à la belle exposition qui lui est consacrée.
A première vue, tout sépare la châtelaine de Nohant de l’enfant d’un modeste fontainier. Leur histoire, leur destin, leur célébrité sont bien différents et George Sand est morte depuis quatre ans déjà quand Ernest Montusès vient au monde à Montluçon en 1880.
Pourtant, au-delà de différences manifestes, trois éléments unissent celle que Victor Hugo appelait « la grande femme de la littérature française » et celui qui fut un « enfant du pays », le vôtre, au destin bref mais exceptionnel – et ces éléments, vous allez le voir, ne sont ni forcés, ni fortuits.
Sand comme Montusès partagent d’abord un grand intérêt pour la presse, cet outil médiatique que le XIXe siècle n’invente pas mais auquel il donne une force et un pouvoir exceptionnels. Sand le comprend fort tôt : en compagnie de Jules Sandeau, elle fait à Paris ses premières gammes littéraires dans un petit journal satirique appelé Figaro, et pour ce faire, s’invente un « nom de plume », comme le fera plus tard Ernest né Semonsut ; quelque quinze ans plus tard, elle crée une revue de culture et de politique dont le titre contient l’objectif, La Revue indépendante ; puis elle finance un journal d’opposition au pouvoir de Louis-Philippe, c’est L’Eclaireur de l’Indre, journal des départements de l’Indre, du Cher et de la Creuse qui commence à paraître en 1844. « J’aime le journalisme, écrit Sand, celui de la province surtout. J’y sens plus de loyauté, plus d’indépendance, plus d’avenir ». En 1848 enfin, à la demande de ses amis, Sand anime le Bulletin de la République, organe officiel du gouvernement provisoire après la révolution de Février. Dans tous les cas, elle a mesuré, comme plus tard Ernest Montusès, le pouvoir de la presse, son rôle déterminant dans la diffusion des idées et dans les changements – nécessaires - de « mentalité ».
Sand et Montusès partagent ensuite des convictions politiques qui ne relèvent pas seulement de la générosité ou de la grandeur d’âme. Sand se déclare saint-simonienne (on sait que ce mouvement appartient aux débuts du socialisme en France), puis socialiste et même communiste, non sans nuancer toutefois la nature de cette étiquette. « Je suis communiste, écrit-elle en 1851, comme on était chrétien en l’an 50 de notre ère ; c’est pour moi l’idéal des sociétés en progrès, la religion qui vivra dans quelques siècles ». Pendant toute sa vie, Sand demeure profondément attachée au sort de ce qu’on appelle alors « le peuple », paysans et ouvriers (mais c’est surtout les premiers qu’elle connaît, et qu’elle défend), et se déclare résolument en faveur d’une forme de gouvernement démocratique, et hostile la monarchie : « Ne suis-pas républicaine depuis que j’existe, écrit-elle à la chute de Napoléon III ? La république n’est-elle pas un idéal qu’il faut réaliser un jour ou l’autre dans le monde entier ? ».
Ses romans portent la marque de cet engagement, socialiste et républicain, que ne partage guère le milieu littéraire du temps, à l’exception de Hugo, qui toutefois ne se rallie que lentement à la cause socialiste, et d’Alphonse de Lamartine, dont elle sera proche en 1848. Balzac, avec lequel elle entretient un dialogue fécond dans les années 1830 et 40, ne la suit guère sur ce point ; quant à Flaubert, qui sera son correspondant attentif à partir des années 1860, il se moque volontiers de positions envers lesquelles il éprouve fort peu de sympathie : « George Sand est un être merveilleux, écrit-il, pour autant qu’elle n’enfourche pas son dada socialiste ». Politiques, les romans le sont, et ils n’en font pas mystère. Les personnages ne dissimulent pas leur souhait de justice sociale et leur souci de voir défendus les droits de tous ceux qui travaillent de leurs mains (c’est particulièrement manifeste dans des romans peu connus aujourd’hui comme Le Compagnon du tour de France ou Le Péché de Monsieur Antoine). Dans les histoires qu’elle raconte, Sand met le plus souvent en scène des gens modestes raisonnant sur le monde comme il va et souhaitant qu’il soit plus juste et plus généreux, mais aussi des hommes et des femmes profondément soucieux d’égalité, égalité sociale et égalité des sexes : « nous voyons la cause de la femme et celle du peuple offrir une similitude frappante qui semble les rendre solidaires l’un de l’autre », écrit Sand, dans ce sens, dans L’Eclaireur de l’Indre. La plupart des romans placent l’un en face de l’autre un jeune homme et une jeune fille qui finiront par se marier sans doute mais qui vont surtout travailler à devenir les égaux, égaux en biens par le travail (GS est certainement la seule à l’époque à imaginer par exemple que le travail ménager puisse être rémunéré) et égaux par l’instruction (la chose n’est pas mince à concevoir quand on sait ce qu’est alors l’éducation des petites filles à la campagne, quand elle existe : c’est notamment le sujet de La Mare au Diable, La Petite Fadette, François le Champi, Les Maîtres Sonneurs et bien d’autres romans encore). A l’époque, il faut le rappeler, hommes et femmes ne sont pas alors égaux devant la loi – et Sand ne cessera de militer, notamment dans la presse, pour l’éducation des filles, mais aussi pour l’obtention pour les femmes des droits civils (dont le droit au divorce), droits qu’elle juge la condition de l’obtention des droits politiques (dont le droit de vote).
Sand et Montusès partagent enfin une extrême attention portée au monde rural, à son économie, à son fonctionnement au quotidien, à ses acteurs, riches et pauvres, à tout ce qui constitue le terroir, la région, la « province » comme on dit volontiers alors. La connaissance du Berry et des « pays » qui l’entourent, Sand le doit à d’innombrables voyages et promenades, voyages en voiture, quand elle vient de Paris ou qu’elle y retourne, promenades à cheval, alors que jeune fille surtout elle trouve dans cette activité une distraction puissante, promenades à pieds enfin, en nombre considérable, promenades faites autour de Nohant, mais aussi dans la Creuse, grâce à la petite maison que Manceau et elle ont acquise à Gargilesse, à Boussac où elle réside quelques semaines chez des amis, et dans bien d’autres lieux encore. Elle est ainsi l’une des rares « marcheuses », « randonneuses » de la littérature de son temps.
Elle est aussi l’un des très rares écrivains à rendre au plus près, au plus juste, ce qui fait les habitudes de l’homme des champs, ses mœurs, sa musique, les objets qu’il fabrique, ce qui constitue le cours de ses jours. Peu d’écrivains alors pour s’intéresser sérieusement à la vie en province, à la vie au village, aux fêtes, aux rites, aux légendes, aux habitudes et aux parlers locaux. Indre, Creuse, Bourbonnais, Sand pèse également les nuances qui font de chaque terroir un microcosme, un monde à part, ressemblant certes à ses voisins mais que différencient mille nuances subtiles. Exemplaires à cet égard est le dernier de ses romans champêtres, Les Maîtres Sonneurs. Dans ce dernier, Sand explique ce qui fait la différence entre le paysan tranquille de la plaine à peine semée de collines des entours de Nohant et le muletier opiniâtre, qui hante les bois du Bourbonnais en compagnie de « bûcheux ». Au premier le calme et la réflexion, au second la vivacité et l’impulsion. Au chef de la bande des « bûcheux », elle a d’ailleurs donné le nom d’un village de l’Allier, Huriel – Huriel c’est celui qui finira, après bien des péripéties, par épouser la belle Brûlette. Mariage de deux pays qui sont deux caractères, deux manières de voir le monde et de le vivre.
A la suite de Sand un certains d’auteurs, hommes et femmes, porteront sur la région qu’ils habitent un regard neuf et se montreront soucieux de rendre leur pays d’une manière originale. Les quelques romans dont Ernest Montusès est l’auteur, et dont on peut se faire une idée – approximative – en ligne, s’apparentent à cette veine initiée par Sand, à ce souci du peuple qu’habitent et que nourrissent des convictions : convictions que le monde peut changer, qu’il peut être plus juste, plus fraternel, plus soucieux d’égalité.
Ce souci n’a rien perdu de sa pertinence et de son urgence. Mais Sand reste avant tout « un artiste », comme elle aime à le dire et dans cette perspective elle répète que « l’art n’est pas une étude de la réalité positive ; c’est une recherche de la vérité idéale ».
Cette vérité idéale, Sand n’a pas cessé de la poursuivre, de la mettre en scène, de la rêver – et il faut souhaiter que bien d’autres continuent d’en rêver avec elle.
Martine Reid
22 novembre 2013